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Que les sceptiques se rassurent, il n’est nullement question d’en finir avec la diversité. Don quichotte a déjà essayé avec les moulins à vent et cela n’a pas marché : mission impossible ! Par contre, il est possible et même souhaitable d’en finir avec une certaine idée de la diversité.
Certains usages du terme diversité seraient amusants si ce concept aux contours flous ne se retrouvait pas inscrit dans le langage juridique, sans jamais être défini, et dans le langage managérial et communicationnel sans qu'il soit questionné.
Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde disait Camus. Mal définir les concepts, c’est mal saisir la réalité qu’ils tentent de cerner, et c’est prendre le risque de poser des choix, des politiques, des pratiques au mieux inutiles, au pire contre-productifs.
Pour appréhender la notion de diversité, il est nécessaire de faire un détour par le concept d’identité - ou un retour plutôt, ce qui revient finalement au même. Car les deux concepts sont intimement liés et c’est là que tout commence.
Toute identité est une construction. Pour construire son identité, tout humain a besoin d’opérer un double regard : l’un tourné vers son miroir propre et l’autre vers son environnement. C’est ainsi qu’il se forge une idée de lui-même par contraste entre son reflet, - unique/identique et la multitude, -infinie/différente. Imaginons un instant qu’il se trouve seul au monde ou qu’il ne voit autour de lui que des copies identiques. Il aurait de la peine à s’attribuer des caractéristiques propres. Il serait incapable de percevoir sa singularité, ses ressemblances et ses différences avec un autrui qui ne serait qu’une pâle copie de lui-même. La multitude et la différence sont de toute évidence nécessaires pour que l’humain puisse prendre conscience autant de sa singularité que de ce qu’il a en commun avec l’altérité. L’on peut conclure que la diversité est une condition nécessaire à la construction de l’identité. Autrement dit, il n'y a d'identité que parce qu'il y a diversité.
L'on peut également conclure que l'identité se contruisant dans un contexte social, elle en porte la marque. L'individu construit son identité en se frottant à un contexte fait de normes, valeurs, codes, interdits, tabous, injonctions implicites et explicites de toutes sortes, plus ou moins souples, plus ou moins négociables. Les différentes stratégies identitaires qui permettent à l'être de concilier tous les morceaux de son être, de son identité, qui lui permettent de rapprocher le plus possible son être, son paraître, ses aspirations et son agir, toutes ces stratégient se jouent dans un terrain culturellement, politiquement et socialement situé.
La diversité n’est rien d’autre qu’une situation de fait, celle de la société humaine faite d’un agrégat d’êtres humains semblables sur certains aspects et différents sur d’autres. Elle porte sur toutes les caractéristiques qui font l’être humain : son sexe, genre, orientation sexuelle, âge, état civil, situation sociale, professionnelle, état de santé, fortune, origine, sa religion, langue etc. La liste n’est pas exhaustive. La diversité, c'est tout cela à la fois. La diversité, c'est nous tous.
Assimiler diversité et altérité, c’est du coup un peu confondre les choses. C’est dans ce travers que tombe une certaine conception en vogue, qui laisse entendre que la diversité, c’est l’Autre. Or comme parmi les Autres, il y a forcément autre et autre, il faut bien, pour ne pas se compliquer la vie, faire un tri parmi tous les autres qui existent. C’est ainsi que commence la distinction, puis la hiérarchie entre les très autres, les moyennement autres et les pas très autres que cela (mais autres quand même). Ainsi est écarté rapidement le fait qu’on est toujours l’Autre de quelqu’un d’autre, que ce soit sur un plan ou sur un autre et que la diversité est la somme de tous ces êtres, à la fois semblables et différents les uns des autres.
C’est de cette façon qu’insidieusement, de tous les Autres possibles (pensez à la palette des caractéristiques propres à chacun), ceux qui ont un passé migratoire en viennent à être considérés comme les très autres. En essentialisant les uns, en gommant les différences des autres, et en hiérarchisant les altérités, se construit l’illusion que certains sont beaucoup plus Autres que les autres. C’est ainsi que la diversité finit par renvoyer exclusivement – dans l'imaginaire et le discours de certains - à l’origine étrangère. Finalement, cela revient à dire que la diversité, c’est l’Autre, mais pas n’importe quel autre. C’est plutôt l’Autre qui a un passé migratoire.
Cette essentialisation et cette confusion ne partent pas nécessairement d’une volonté de stigmatisation. Le terme diversité est même souvent chargé dans certains usages d’une connotation positive. La confusion part probablement d’une bonne intention qui expliquerait le succès de l’expression « personnes issues de la diversité » auprès de personnes qui, au lieu de s’en offusquer, la reprennent à leur compte et la promeuvent. Cette expression semble tenter de s’extirper des complications conceptuelles expliquées plus haut. Pour atténuer le stigmate collé à l’origine étrangère, ses adeptes estiment plus adéquat d’utiliser un terme moins stigmatisé, plutôt connoté positivement. Un euphémisme à moindre frais en quelque sorte. Paradoxalement, en confondant la notion de diversité avec l'origine étrangère, cet usage légitime le stigmate tout en réduisant et appauvrissant le champ réel que couvre la notion de diversité.
Pire encore, en cherchant à éviter le stigmate, cette expression en vient à être stigmatisante elle-même. C’est comme si l’origine étrangère était une tare à cacher sous le tapis. Quand bien même son usage ne part pas nécessairement d’une volonté de stigmatisation, il valide de facto la hiérarchisation des différentes formes d’altérité et l’élection de l’origine comme altérité suprême ce qui est quand même, avouons-le, problématique. Quand la catégorisation, l’essentialisation et la stigmatisation font bon ménage, la discrimination n’est plus très loin.
Poser ce qui précède ouvre sur d'autres interrogations légitimes. L’expression « issus de la diversité » illustre certes les limites de la notion de diversité, mais elle est bien commode pour faire l’impasse sur une question centrale : Comment désigner, autrement, les personnes visées par cette expression d’une manière qui évite aussi bien la suraffirmation identitaire, l'assignation identitaire que la stigmatisation?
C'est à cette question que je tenterai de répondre dans un prochain billet.