Dans son édition du samedi 15 février 2014, le journal le Soir a réservé son supplément à l’immigration marocaine, et ce dans le cadre de la célébration des 50 ans de présence marocaine en Belgique. L'initiative est à saluer. Plusieurs thèmes ont été abordés, dont celui de l’islam. A ce sujet, une étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’université de Rabat en 2009 fut sollicitée (Belgo-Marocains des deux rives: une identité multiple en évolution, FRB, 2009). Mais par excès de zèle, les résultats de cette étude ont été surinterprétés, au point de leur faire dire ce qu'ils ne disent pas.
Alors que l'étude évoque 68,2% de Belgo-Marocains qui « essaient d’obéir aux préceptes », le/la journaliste du Soir fait sa propre interprétation et déclare que : « 68,2% des Belgo-Marocains tentent d’obéir aux préceptes sans pratiquer ». Comparons les deux énoncés :
Données présentées par le Soir
A en croire le Soir, seuls 12,2% des Belgo-Marocains seraient croyants pratiquants, ce qui est faux. On n’en est pas encore là. Le constat de privatisation du religieux que fait Felice Dassetto ne signifie pas nécessairement une baisse de la pratique religieuse. La sécularisation est certes en cours, mais on est encore très loin de ces chiffres.
Voici les données telles que présentées par l'étude sur les Belgo-Marocains:
La façon dont les données sont présentées par l’équipe de chercheurs Marocains peut induire en erreur un non averti. Faire deux catégories séparées « croyant pratiquant » et « essaie d’obéir aux préceptes » est problématique d’un point de vue méthodologique (sauf à en faire une interprétation correcte) : une même personne peut être croyante pratiquante et essayer d’obéir aux préceptes religieux. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on tente d’obéir aux préceptes que l’on n’est pas pratiquant. Bien au contraire même. A mon avis, cette catégorie a été créée par les chercheurs pour désigner les personnes qui pratiquent mais de façon non régulière. Le problème est que cela peut induire en erreur les répondants : par une sorte d’humilité recommandée par l’islam, de très bons pratiquants peuvent répondre qu’ils tentent d’obéir aux préceptes religieux, convaincus qu’ils ne feraient jamais les choses bien comme il faut, qu’ils tombent dans l'interdit de toute façon et qu’alors, c’est plus juste de dire qu’on essaie d’obéir aux préceptes. Affirmer être "croyant pratiquant" serait présomptuex pour certains. En définitive, il semble que cette catégorie est à cumuler avec celle des croyants pratiquants.
L’interprétation que je viens de fournir est corroborée par une autre étude réalisée par une équipe de chercheurs Turcs en 2007 (Belgo-Turcs: pont ou brèche entre la Turquie et l'Union Européenne? FRB, 2007). Les catégories sont mieux explicitées, et l’on voit bien que dans les pratiquants, il y a ceux qui respectent tous les préceptes religieux, ceux qui essaient de respecter tous les préceptes et ceux qui ne respectent pas tous les préceptes (c'est-à-dire, qui en respectent certains).
Cet épisode rappelle les journalistes et les chercheurs à l’ordre. Alors que l'esprit de ce supplément est positif, cette surinterprétation fournit des informations fausses aux lecteurs. D'un autre côté, la méthode scientifique impose un minimum d’explicitation et de vérification. Avancer des chiffres et des ordres de grandeur doit se faire avec prudence et parcimonie. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas. L’article sur « l’islam belge » paru dans ce supplément en fournit quelques exemples.
Edit 17.02.2014. Dans son édition du 17 février, la Libre Belgique remet le couvert et parle de "12% pratiquants de l'islam". Les mêmes analyses et commentaires faits plus haut s'appliquent donc à ce quotidien également.
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